Lors de la première internationale de Non ho l’età, ce week-end à Visions du Réel dans la section Helvétique, la salle est comble, le réalisateur et certains protagonistes sont présents et l’émotion ambiante dès les premières notes du film laisse deviner le lien personnel entretenu entre l’audience et les histoires du documentaire. Nous rencontrions plus tard le réalisateur tessinois Olmo Cerri.
Propos recueillis et traduits par Milena Pellegrini. (fonte)
En 1970 en Suisse, l’initiative populaire Schwarzenbach souhaitait renvoyer 300 000 personnes étrangères de son territoire. L’initiative est rejetée mais demeurait symptomatique d’années de xénophobie envers la population étrangère, principalement composée par des travailleur(euse)s italien(ne)s et espagnol(e)s. Venus en Suisse suite à des accords économiques visant à la facilitation du recrutement de main d’oeuvre dans des secteurs comme la construction, l’hôtellerie ou l’horlogerie, ils subissaient alors des discriminations allant des contrôles inhumains aux frontières, des panneaux interdisant leur entrée dans certains lieux publics et les propos ouvertement racistes mis en avant pour justifier leur renvoi.
Six ans plus tôt, Gigliola Cinquetti, seize ans, gagnait San Remo avec la chanson Non ho l’età. Pourtant réactionnaire et aux messages catholiques, la chanson pop se transforme en artefact de la nostalgie d’un pays laissé derrière soi. Elle émeut alors toute une génération d’émigrés et la jeune chanteuse recevait 140 000 lettres des quatre coins du monde. Elle décidera, il y a quelques années, de les léguer à l’archive de l’écriture populaire à Trente. L’historienne Daniela Delmenico écrit alors sa thèse sur la condition matérielle et émotive des émigrés italiens en utilisant plus d’une centaine de ces lettres.
Olmo Cerri en a choisi quatre et ainsi est né le documentaire Non ho l’età. Si les quatre histoires ont été retenues pour leur contenu et pour leur complémentarité, les recherches se sont avérées laborieuses:
« Nous avons du faire des enquêtes. Lorsque nous trouvions un nom, nous appelions toutes les personnes avec ce nom en Suisse pour remontrer à la bonne personne. Si nous ne trouvions rien en Suisse nous essayions en Italie s’il y avait une indication de la ville de provenance. Nous avons fait beaucoup de téléphones. Les gens se méfiaient, ils ne comprenaient pas et pensaient que c’était du telemarketing. »
D’une grand-mère italienne et d’un grand-père allemand, Olmo Cerri a un lien personnel avec ces trajectoires, mais comme, dit-il, « tous les tessinois ». Les autres protagonistes racontent l’histoire de la Suisse de cette époque, celle avec un petit « h » car trop peu narrée dans l’histoire officielle.
« C’est une page de l’histoire qui ne fait pas honneur à la Suisse. Il y a beaucoup de cinéastes qui l’ont racontée. Par exemple dans mon film il y a beaucoup d’extraits de « Siamo Italiani » d’Alexander J-Seiler, qui est surement le plus beau film fait sur la migration. Selon moi nous avons honte de la façon dont nous nous sommes mal comportés . Et de comment nous sommes en train de nous comporter. Maintenant ce ne sont pas les Italiens mais les personnes de provenance d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Et nous nous comportons encore plus mal. »
Programmé dans la section Helvétique, Non ho l’età prouve que la matière première d’un documentaire se trouve également en Suisse et dans son histoire, même si l’exotisme semble être parfois plus inspirant pour les cinéastes:
« Je pense qu’en Suisse, si l’on gratte la croûte de propreté et d’ordre, il y a beaucoup à raconter. Il n’y a pas de meilleures choses à raconter dans un documentaire, c’est un choix. C’est vrai qu’en Calabre, la lumière est magnifique. Tout est désordonné. N’importe où tu poses ta caméra il y a quelque chose de beau. Ici tout te semble banal mais il faut trouver des clés différentes pour raconter la Suisse. L’exotisme est toujours plus simple. »
La force du documentaire est également sa subtile mise en perspective de la situation d’hier avec celle d’aujourd’hui, dans une période où la migration est souvent désignée comme problématique. Il semble nous rappeler que comprendre le passé est le meilleur outil pour appréhender le présent:
« A Chiasso, lorsque nous avons filmé Carmela qui racontait les perquisitions et les visites médicales qu’elle avait subies, au même moment, des jeunes Érythréens subissaient des contrôles encore plus inhumains. A l’époque, la Suisse avait besoin de main d’oeuvre, donc elle a appelé les italiens. Aujourd’hui, nous n’en avons plus besoin de cette main d’oeuvre, et nous nous permettons d’être encore plus durs et plus inhumains. »
Mais les scènes faisant des parallèles restent implicites et subtilement amenées. Un choix délibéré pour le cinéaste qui souhaitait rester dans la suggestion.
« Nous étions à Come lorsque des centaines de migrants campaient à la gare de Come. Nous étions également en Calabre lorsqu’un bateau de l’armée a accosté avec des centaines de personnes dans le port de Reggio Calabria. Ce sont des images que j’ai tournées mais ensuite il m’a semblé plus efficace de rester implicite. Je ne voulais pas être pédant, faire le maître qui disait : « Vous voyez c’est la même chose ». Je voulais le faire de façon beaucoup plus délicate. »
En rappelant le passé Olmo Cerri souligne poétiquement les incohérences du présent. Dans une période où l’acquisition de la naturalisation facilitée pour les troisièmes générations semble une victoire, Non ho l’età rappelle le visage humain des trajectoires migratoires et surtout la récurrence de l’histoire.
Co-produit par les sociétés de production AMKA, Tempesta et la RSI radiotélévision, le documentaire sera prochainement diffusé sur les télévisions nationales.